(Billet 1166) - Finances des partis politiques...on ne change pas un système qui stagne !

Il existe un lourd, et même très lourd décalage entre les ambitions immenses de la constitution du Maroc et le rachitisme des finances des partis supposés porter cette constitution. A se demander comment font ces partis pour continuer d’exister… Comment faire vivre une démocratie avec des partis et toussa quand ces partis semblent peiner pour tout juste survivre ? C’est toute l’énigme de notre si singulière démocratie toujours en salle d’attente.
Le rapport de la Cour des comptes sur les finances et le financement des partis est toujours un moment particulier dans le microcosme politique et médiatique ; il permet de comprendre comment le système fonctionne ou plutôt comment il surnage entre l’officiel et le non-officiel. Ainsi, ils sont 34 partis politiques au Maroc, dont les noms sont le fruit d’une savante combinaison entre P pour parti ou populaire, M pour mouvement ou marocain, D pour démocratique ou pour développement, … Sur ces 34 partis, seule une poignée est connue, le RNI, le PAM, le PI, le PPS, le MP, l’USFP, le PJD et, accessoirement, le PSU ; Les autres ne comptent pas, ou peu, et 7 d’entre eux n’ont même pas répondu à la Cour en produisant les documents comptables demandés.
Venons-en à l’argent, dans ce rapport 2023 de la Cour des comptes. L’ensemble des partis ont déclaré des ressources globales de 105 millions de DH, en recul par rapport à l’exercice antérieur. Prenons le peloton de tête, celui qui forme la majorité, le fameux trio RNI/PAM/PI ; le mauvais élève est l’Istiqlal, qui n’a pas restitué la coquette somme de 11,5 millions de DH, qui a comptabilisé plus de 400.000 DH sans pièces justificatives, et qui a vu ses comptes certifiés avec réserve. Curieux de la part d’un parti qui dispose de tant de talents pointus et qui s’appuie même sur une Alliance des économistes… Le RNI et le PAM ont des comptabilités irréprochables, et ce fait mérite d’être signalé, bien que ce soit en principe la norme.
Au total, les ressources globales déclarées par les 27 partis éligibles au soutien se sont élevées à 105 millions de DH, dont près de 60% venant de l’Etat, soit 60 millions de DH, et le reste formé des ressources propres des partis. Deux questions se posent alors : Comment faire « tourner » et prospérer une démocratie avec aussi peu d’argent ? Pourquoi ajouter de l’argent à des partis politiques inspirant si peu confiance au peuple ? Le cumul des deux questions aboutit à un jeu à somme nulle : l’argent versé par l’Etat n’est pas suffisant, mais l’Etat ne peut donner plus au vu des résultats engrangés. Et au final, la démocratie devient comme un mirage s’éloignant sans cesse, que la population renonce désormais à suivre.
Quels sont les résultats engrangés ? Une population en manque total de confiance en sa classe politique, des partis – parfois gouvernementaux – qui ne veulent ni ne savent gérer autant d’argent, une classe politique qui peine à mobiliser les populations et à attirer les électeurs aux bureaux de vote, avec à peine 50% de participation, au prix de moult acrobaties et triturations de la célèbre et fameuse « ingénierie électorale » (on ne truque certes plus les résultats, mais on multiplie les trucs électoraux)… Et, au final, une scène politique qui n’inspire pas confiance, allant même souvent jusqu’à susciter la défiance, voire la méfiance des électeurs.
Une autre question se pose, brûlante… Quelle est l’origine du financement de certains partis qui affichent des signes de santé financière éclatante ? Des locaux flambants neufs, du matériel informatique à faire rougir d’envie la DGSSI, des permanences partout et même ailleurs… Qui sont les financiers discrets de ces partis ? La Cour des comptes ne mentionne pas ce fait, pourtant connu, et le ministère de l’Intérieur n’insiste pas non plus. On peut légitimement s’interroger sur les raisons de ce mutisme.
Et puis, pourquoi autant d’argent pour des formations politiques qui n’encadrent ni ne forment les populations, comme stipulé bruyamment dans la constitution ? Et pourtant, il existe bien des domaines où le rôle d’encadrement des partis demeure crucial, comme l’éducation au civisme fiscal, social, citoyen, comme la sensibilisation sur la crise hydrique, comme l’éveil des consciences sur la nécessité de voter, comme la connaissance du passé et la mobilisation pour l’avenir… Pourquoi personne ne s’interroge sur l’utilité et même la pertinence de partis politiques qui doivent encore apprendre, selon les recommandations de la Cour des comptes, à respecter les délais légaux de soumission de leurs comptes, à restituer les montants en excédent, à justifier les dépenses effectuées, … ?
On connaît les réponses, ou une partie du moins de ces réponses. Il n’y a que 8 ou 9 partis qui fonctionnent « normalement » (92% des ressources déclarées émanent de 9 partis seulement), qui se disputent le gâteau gouvernemental, et ces 8 ou 9 partis s’appuient sur leurs fameux notables, qui font autorité dans leurs régions, dans leurs circonscriptions, qui ont de l’ascendant sur leurs ouailles. Et ces notables transhument, virevoltent d’un parti à l’autre au gré des avantages qui leur sont promis. Chez nous, on ne change pas un système qui stagne.
Tout cela conduit à cette très inquiétante indifférence à l’égard de la chose politique. Que l’on en juge : 25 millions de Marocains en âge de voter, 17 millions inscrits sur les listes électorales, 8,8 millions qui ont effectivement voté et 7,6 millions de votes valides. Cela fait un taux réel de participation de 30% ! Ce taux déjà rachitique serait encore plus bas si on comptabilise les Marocains du monde en âge de voter, et qui sont régulièrement, systématiquement écartés de l’opération électorale.
Or, on ne le dira jamais assez, le Maroc a besoin d’une démocratie réellement représentative, les jeunes ont besoin de croire en la politique, et tout le monde voudrait voir et avoir une classe politique qui connaisse ses devoirs, qui ressemble à quelque chose. Le royaume a atteint un point d’inflexion et a développé de grandes ambitions ; il a en outre semble-t-il décidé de s’inscrire dans un système démocratique. Or, au vu des partis politiques actuels, et quelles que soient les raisons de leur vacuité (voulue ou induite, interne ou exogène), il est temps de choisir, vraiment, réellement, ce qu’on veut.
Car en poursuivant ainsi, avec une démocratie boiteuse pour cause de partis politiques poussifs, notre développement continuera de tituber, notre émergence de s’éloigner, notre classe moyenne de désespérer, et nos jeunes de s’en aller.
Aziz Boucetta