(Billet 1219) – GenZ, une jeunesse exceptionnelle… qui mérite mieux qu’un état d’exception

Pour avoir un Etat de droit et une démocratie qui fonctionne, il existe plusieurs règles, mais la première est d’abord d’y croire. C’est simple, peut-être trop simple, mais c’est ainsi. Au Maroc, nous passons notre temps à protester contre notre Etat de (non-)droit, contre nos libertés malmenées, mais à la première difficulté, nous nous en remettons au roi, oubliant tous les principes de la démocratie. Et c’est ce que fait finalement la GenZ aujourd’hui car, en dépit de la sympathie que peut créer ce mouvement de jeunes, réclamer immédiatement le limogeage du gouvernement et la reddition des comptes, cela revient à réclamer une sorte d’état d’exception !
Il est un temps où il faut appréhender et analyser les choses avec calme, et on y est, après 15 jours de manifestations et de revendications. On connaît les demandes tout à fait légitimes et ô combien vitales des GenZ, mais regardons les solutions offertes en face, par les textes, et analysons les choses calmement, une fois passées l’inquiétude et l’angoisse des premiers jours quand les débordements et la casse menaçaient l’ensemble de l’édifice social. Pour que le gouvernement tombe, comme le veulent les GenZ, il existe plusieurs possibilités constitutionnelles, à la tête desquelles figure la démission individuelle du chef du gouvernement ou collective de l’ensemble du cabinet (art. 47) ou encore un vote de confiance sollicité par le chef du gouvernement (art.103). L’initiative peut également être parlementaire avec l’introduction d’une motion de censure (art. 105). Le roi, pour sa part, a deux leviers en main : soit décider la dissolution de la Chambre des représentants (art. 96) soit décréter l’état d’exception (art. 59).
Au vu de la configuration actuelle des deux organes exécutif et législatif, toute initiative émanant d’eux est exclue ; la majorité est peut-être silencieuse et inefficace, peut-être même inconséquente, mais elle n’est pas suicidaire (politiquement s’entend…), et la minorité est… minoritaire. Il reste le roi ; l’article 96 de la constitution dispose que le chef de l’Etat a le pouvoir de dissoudre la Chambre des représentants, ce qui implique l’organisation d’élections anticipées dans les deux mois. La situation du Maroc ne justifie pas une telle décision aussi brutale et spectaculaire, qui remettrait en question la stabilité politique – gage de confiance des investisseurs – dont jouit le Maroc et, n’en déplaise aux contempteurs du football, à deux mois précisément de la CAN. Peut-on raisonnablement imaginer la tenue d’une telle compétition avec une campagne électorale exceptionnelle qui battrait son plein ?
Il reste l’état d’exception que le roi peut décréter « lorsque l'intégrité du territoire national est menacée ou que se produisent des événements qui entravent le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles ». A supposer que l’on retienne la seconde condition, le roi décide l’instauration de l’état d’exception, et là, le Maroc entrerait dans une période trouble que rien ne motive vraiment aujourd’hui et dont personne ne peut prévoir l’issue. Mais réfléchissons un peu…
Les GenZ ont l’ambition de leur âge et la fougue qui va avec, et c’est tant mieux, mais ils ont également une forme d’ingénuité que l’on a vue dans la première version de leur cahier revendicatif, et aussi à travers les différentes personnes invitées à leurs débats. Ce qui est demandé, en creux, dépasse désormais le simple cadre de légitimes doléances et investit le champ institutionnel ; en effet, sachant que les deux organes législatif et exécutif ne bougeront pas, parce que rigides, l’intervention du roi entérinerait un état de crise, un état d’exception, qui nous ramènerait aux heures sombres de l’histoire récente du pays. Est-ce bien raisonnable ? Non.
En 1965, quand l’état d’exception avait été déclaré par Hassan II, le Maroc sortait d’une guerre avec l’Algérie, la gauche était très active et remuante, les armes circulaient partout, le roi était au début de son règne et les institutions très fragiles ; la contestation était politique, éminemment politique. C’est l’exact contraire aujourd’hui avec les revendications sociales, un Maroc apaisé et stable, un roi expérimenté et des institutions qui ont eu le temps de s’installer dans les faits (sinon dans les esprits des politiques). Au vu de la nature des débats tenus sur Discord et ailleurs sur les réseaux sociaux et en considérant les encouragements et incitations entendues lors des débats avec certaines personnes invitées, on retrouve la logique altermondialiste et une touche d’extrême-gauche. Et c’est là que le paradoxe intervient, quand les partis de gauche critiquaient l’état d’exception de 1965 et que certains mouvements de gauche aujourd’hui, 60 ans après, héritiers de leurs aînés des années 60, poussent vers l’instauration de cet état d’exception, de facto sinon de jure.
Comment continuer à bâtir un édifice démocratique en concentrant entre les mains du roi les pleins pouvoirs ? Dans tous ses discours passés, le roi Mohammed VI s’est appuyé sur la constitution et s’est référé au droit ; et les générations X et Y peuvent témoigner, si elles sont de bonne foi, des réelles avancées démocratiques réalisées dans ce pays. Tout a-t-il été fait, dans les règles et dans le respect absolu des textes ? Assurément non, mais demander à ce que les pouvoirs exécutifs et législatifs soient placées entre les mains d’une personne, fusse-t-elle le roi, serait un recul par rapport à nos acquis.
Que nos jeunes exercent leur pression et ne relâchent pas leur attention sur les secteurs de la santé et de l’éducation est heureux, utile et salvateur. Pour la revendication de limogeage du gouvernement, la solution politique existe et se trouve entre les mains du gouvernement (démission) ou du parlement (censure). Mais entre demander une concentration des pouvoirs par le roi ou attendre huit mois pour les prochaines élections, le choix est vite fait.
Nos jeunes devraient maintenir leurs revendications et leur pression, oui, et aussi, surtout, s’inscrire sur les listes électorales pour VOTER, le jour venu, un jour pas très lointain. Notre avenir à tous leur appartient, il est entre leurs mains, car ils sont nombreux, engagés, organisés et mobilisés. Les institutions leur donnent toutes les possibilités d’influencer la politique et de peser sur elle, mais eux, les jeunes, et les moins jeunes, doivent voter, résolument, massivement, intelligemment.
Cette jeunesse exceptionnelle mérite mieux qu’un état d’exception.
Aziz Boucetta