(Billet 1193) - Faits et méfaits estivaux...

Traditionnellement, le mois d’août est celui de la relâche, de la détente, du farniente. Il fait chaud, et depuis quelques temps de plus en plus chaud, ce qui dissuade de faire et d’entreprendre. On attend que la fournaise passe, s’estompe, et cède la place à un mois de septembre généralement plein de rentrées diverses. Cette année, en dehors de Gaza, il s’est produit de petites choses qui méritent, quand même, que l’on s’y arrête un peu.
1/ Gaza, naufrage de l’humanité. Là, il se passe des choses. Un génocide. En toute impunité. Déclaré, assumé par certains, suggéré du bout des lèvres par d’autres, qui agissent dans le même sens. L’humanité en a connu, des génocides, mais comme celui-là, jamais. Même les nazis se cachaient et essayaient de dissimuler leurs crimes. Leurs crimes contre un peuple qui fait pire aujourd’hui : il offre au monde le spectacle d’un génocide avec toute son abjection, son horreur, son ignominie, sa déshumanité. Un peuple qui se dit à plus de 70% en faveur d’une expulsion, de force si nécessaire, des Palestiniens de leur terre. Les protestations des survivants de la Shoah, d’intellectuels et penseurs juifs de renom, des peuples de la terre n’y font rien et n’y peuvent rien. Aujourd’hui, l’ensemble des Occidentaux – les Américains formant l’exception qui confirme la règle – déclarent vouloir reconnaître l’Etat de Palestine, favorisant et accélérant ainsi l’annexion du territoire dudit Etat par la bande criminelle de Tel Aviv. Tout cela finira mal. Les juifs ont été massacrés par l’Allemagne nazie ; peuple meurtri, il s’est déshumanisé. Demain, nous en aurons un autre, de peuple meurtri, qui criera vengeance et cherchera à la réaliser.
2/ Betty, Betty, qu’as-tu fait là ? Elle, c’est Ibtissam « Betty » Lachgar, activiste bien connue des minorités et défenseuse des libertés individuelles. Elle est connue pour ses coups d’éclat, qui lui ont valu plusieurs interpellations ; elle en a l’habitude, et aujourd’hui, elle y est encore. Pourquoi ? Pour le coup médiatique de trop, semble-t-il… Rompue à l’exercice de la provocation, elle aura cette fois commis une grave erreur. On ne touche pas à la religion, on n’offense pas Dieu, pas que Dieu s’en offusque, non… mais ses fidèles n’apprécient pas et la loi non plus. Il se sont sentis insultés, agressés, et c’est autant leur droit et leur liberté que le droit et la liberté de Mme Lachgar de dire ce qu’elle veut ou même n’importe quoi. Si insulter une religion, outrager sa divinité, mépriser ses croyants, profaner ses écrits relève de la liberté d’expression et d’opinion, alors il faut revoir cette liberté ; Mme Lachgar défend sa liberté individuelle, l’Etat, lui, œuvre à maintenir l’ordre public. Et la liberté de conscience suppose de la conscience. Et que les défenseurs intrépides de Mme Lachgar critiquent la tendance LGBT là où ils se trouvent, ou qu’ils y crient « Israël, Etat génocidaire ! », et on verra bien l’étendue de la liberté d’expression dans ces contrées.
3/ Tahar Ben Jelloun, l’écrit-vain. Il est beau parleur, écrivain à succès et même souvent à talent. Il porte un regard critique sur le Maroc et ses travers, ses prix élevés en à peu près tout, ses services à la clientèle très discutables, ses classifications fantaisistes d’hôtels ou de restaurants. Il a raison mais dans sa position, il serait plus crédible s’il s’inscrivait dans l’action plutôt que l’admonestation. Citer un de ses lecteurs qui dit que « ce pays (le Maroc) l’insupporte de plus en plus » est excessif, donc insignifiant. Faire des chroniques pour plaire, davantage que pour faire et parfaire, n’est pas du niveau supposé de cet écrivain ayant fait le choix de s’expatrier comme tant d’autres qui ne jettent pas pour autant un regard teinté de tant de mépris sur leur pays. Ssi Ben Jelloun, le Maroc avance, quoique vous en disiez, et il peut avancer encore plus vite ; il avancera encore plus vite, malgré ceux qui appellent à son boycott et dont le problème se trouve plus en eux-mêmes que dans le pays. Nos défaillances, nous les connaissons, nous œuvrons à y remédier, et la mauvaise humeur y aide certainement, mais une mauvaise humeur doublée de bonne volonté pour faire. Cela étant, donc, oui, le tourisme va mal et les chiffres annoncés mériteraient un grand débat pour en connaître les faits et leurs (véritables) effets.
4/ Cadrage pour la loi de finances 2026, mais le cœur n’y est pas. Entre le moment où ce cadrage a commencé à être pensé et celui où il a été adressé à ses destinataires de ministres, il y a eu le discours du roi. De fait, les ministres (non régaliens, excepté celui de l’Intérieur) seront plus occupés à penser la future législation électorale que la dernière loi de finances de ce gouvernement. De toutes les façons, pas de grand changement dans les priorités de ce PLF : Consolider l’émergence économique du Maroc (qu’il reste cependant à confirmer, tâche ardue…), réduire les écarts territoriaux et les disparités sociales (comme a instruit le roi dans son dernier discours), et deux autres axes repris du PLF 2025 d’il y a un an, soit le renforcement des fondements de l’État social, et la poursuite des réformes structurelles avec le maintien de la durabilité des équilibres macro-économiques. On peut d’ores et déjà deviner et même s’attendre à ce que les discussions entre partenaires gouvernementaux ne se passeront pas aussi facilement que pour les précédents PLF ; cette année, les négociations sur le loi de finances s’entremêleront à celles sur les autres projets de lois en instance, en souffrance. Et c’est la cohésion de la majorité qui en souffrira.
5/ Les MRE, vache à lait ou pis-aller ? On les dit boycotter le Maroc et on attend les chiffres, les vrais ; on dit que leurs transferts ont baissé et on attend les chiffres, les vrais. La constitution dit qu’ils sont électeurs et éligibles et on attend les décisions, qui gagneraient à être fermes. Mais avant cela, il faut répondre à cette question : pourquoi sont-ils près de 6 millions à préférer vivre dehors que dedans ? Pourquoi sont-ils plus à vouloir partir qu’à souhaiter revenir ? Pourquoi sont-ils toujours plus à partir qu’à revenir (et si des statistiques fiables montrent le contraire, on les attend aussi) ? Pourquoi, après deux demandes royales expresses et précises, dont une sur la mise en place d’une Fondation Mohammed VI et d’un Mécanisme de mobilisation des compétences des MRE, le gouvernement n’a-t-il toujours rien fait ? A défaut de disposer d’un cheptel de vaches pour les viandes, le gouvernement a au moins trouvé sa vache à lait.
6/ Migration irrégulière au Nord, une goutte d’eau dans le détroit. Il faut regarder les émissions déchirantes de CNews pour prendre la mesure du danger migratoire qui guette l’Europe ; les chroniqueurs sont réellement effrayés face à ces hordes qui déferlent chez eux. Et pourtant, avec un peu de calme et de raison, ils seraient rassurés. Qu’ils contactent le politique Lahcen Haddad, très actif sur les réseaux sociaux, qui se baladait dans le nord du pays et qui a remarqué les très forts déploiements policiers pour endiguer les flux migratoires, et ils comprendront. Sa remarque : des dizaines de milliers de tentatives de migration déjouées, des dizaines de réseaux démantelés et des centaines de rapatriements depuis des années ; mais quand 50 personnes parviennent à passer, nous avons droit aux jérémiades des très angoissés dirigeants de Sebta et de Melilla et aux cries d’orfraie de Pascal Praud et ses disciples en proie à la plus aigüe des crises de nerfs.
Au Portugal, c’est la panique : une quarantaine de migrants sont passés et ont débarqué en Algarve (al-Gharb en VO) ! Dramatique !... Mais les Portugais, comme les Espagnols, ont la mémoire courte. Petit article de journal paru en 1950 : « Nouveau débarquement d’immigrés clandestins portugais au Maroc - Port-Lyautey, 17 juillet 1950. Des Portugais, au nombre de 12, ont encore débarqué clandestinement à quelques 30 kilomètres au nord de Port-Lyautey. (…) Ils seraient arrivés en deux groupes séparés et auraient abandonné les embarcations. Comme les précédents, ils viennent d’un port au sud du Portugal ».
Après la crise de 2008, des centaines d’Espagnols avaient choisi d’immigrer clandestinement au Maroc, à la recherche d’opportunités et de travail. Le journal Sud-Ouest, du 19/7/2013 : « La crise a mis l’Espagne à genoux. Avec un jeune sur deux sans emploi, la quatrième économie de la zone euro compte 4,7 millions de chômeurs. Résultat : ils sont de plus en plus nombreux à migrer, en Allemagne, où la croissance est meilleure, ou en Amérique latine. Plus étonnant, au Maroc aussi. En mars, l’Institut national espagnol de la statistique révélait que la population ibérique a été multipliée par quatre en huit ans en terre marocaine. De 3 000 en 2003, les Espagnols seraient aujourd’hui 10 000, sans compter la composante clandestine ». Quant aux Français clandestins (venus pour tourisme et exerçant une activité au Maroc), on ne les compte même plus…
7/ Maroc anxiogène. Depuis la première attaque du groupe de hackers contre la CNSS et certains organismes publics ou privés triés sur le volet, les coups se multiplient à l’endroit des plus hauts responsables du royaume. Les infox succèdent aux intox, les vidéos pullulent et chacun y va de son histoire. Le plus étonnant, les attaqués sont les plus méritants de nos hauts responsables, Nasser Bourita ou Abdellatif Hammouchi, Yassine Mansouri ou Fouzi Lekjaâ et, plus récemment, l’ambassadeur Youssef Amrani. Tenus par le devoir de réserve, ces responsables ne peuvent répondre mais sur les réseaux, on relève la sympathie dont ils font l’objet. En effet, le Maroc est sûr et sa diplomatie est saine. D’où viennent ces attaques ? De l’est méditerranéen ou de nos irascibles voisins orientaux, du nord de la Méditerranée ou de l’intérieur du pays ? Et pourquoi ? Les élections approchent et chacun voudra y mettre du sien, le dénouement de la question du Sahara se profile à l’horizon et certains ne s’en réjouissent pas, la CAN est à nos portes et le mondial 2030 au portail et « houssadouna » prolifèrent… Quelqu’un doit savoir ; espérons qu’il soit rassuré pour nous rassurer aussi.
Bon mois d’août et peut-être même bonnes vacances !
Aziz Boucetta