(Billet 1199) – Elections crédibles... doit-on encore y croire, peut-on enfin y croire ?

(Billet 1199) – Elections crédibles... doit-on encore y croire, peut-on enfin y croire ?

Tout porte à croire que ces élections législatives de 2026 ne ressembleront pas aux précédentes. Dans la forme et dans le fonds. Dans la forme, le roi Mohammed VI a annoncé la couleur dans son discours du Trône, chargeant le ministre de l’Intérieur de préparer les textes juridiques encadrant ce scrutin, demandant la transparence, et fixant un délai à la fin de l’année ; dans le fonds, les enjeux nationaux et les défis internationaux impliquent l’absolue nécessité pour le Maroc de disposer d’un gouvernement bien élu et d’élus compétents qui sachent gouverner. Mais au niveau des partis, ces élections risquent bien de ressembler à celles d’avant.

Et ainsi donc, le souverain insiste (c’est son mot et il n’est sûrement pas superflu) sur « la préparation judicieuse » du scrutin et sur l’aspect participatif, qui n’inclut certainement pas les partis politiques seulement, mais devrait également engager la société civile, le roi ayant parlé des « différents acteurs » et non des seuls partis politiques. Et il a utilisé l’expression « porté à la connaissance générale » en parlant du Code électoral à élaborer, et en cela il signifie aussi la transparence des élaborateurs et l’implication des électeurs. S’adresser au ministre de l’Intérieur et non au gouvernement ou même au ministère a aussi son importance, Abdelouafi Laftit étant un ministre de souveraineté, à la tête d’un département régalien ; le responsable obéit immédiatement, et se réunit avec les chefs de partis 48h après l’interpellation royale,  leur accordant un mois pour lui remettre leurs suggestions et recommandations électorales.

Ils s’exécutèrent, dans le délai imparti. Mais n’en pipèrent mot, à l’exception de quelques-uns. Sollicités pour en parler, seuls certains d’entre eux ont dévoilé en public et en détail leurs suggestions, le PPS et le PJD étant semble-t-il les plus sérieux avec la description en détail et en conférence de presse de leurs cogitations. Et c’est le premier accroc. Nos dirigeants politiques taiseux diront ce qu’ils voudront, mais taire des propositions électorales aux électeurs, ou les informer des grandes lignes seulement, indique soit une totale indifférence à la volonté populaire ou une solide indigence tactique. En agissant ainsi, ils signifient au peuple qu’il ne sera sollicité que le moment venu, et que dans l’intervalle, les choses se passent entre les « grands », les « responsables », les « sachants ». Quant au peuple, il lui font comprendre à travers leur comportement qu’il ne compte pas, ou peu.

Quelles sont les principales recommandations suggérées pour faire de l’élection à venir un succès institutionnel ? Globalement, ce sont les mêmes poncifs qui sont avancés, découpage électoral, mode d’inscription sur les listes électorales, évolution de l’effectif des députés, représentation des femmes et des jeunes, mode de scrutin… Et bien sûr, la lutte contre l’utilisation de l’argent, forcément sale, dans l’opération électorale.

Tout cela est bien beau, mais tout cela est classique, donnant un air de déjà-vu. Les partis proposent, l’Intérieur dispose, et au final les électeurs se mettent en pause. Normal, ces derniers ne sont pas en confiance, étant convaincus – à raison – que l’élection est une affaire qui concerne les politiques et seulement eux. Pour ces derniers, la fin justifie les moyens ; alors ils mettent, ont mis et mettront encore les moyens, et le peuple restera, comme à son habitude sur sa faim. Quatre grands thèmes sont à examiner pour rendre son éclat à une élection législative qui n’en a jamais vraiment eu, sauf en 2011 peut-être…

1/ L’argent électoral, forcément sale. Entendons-nous bien… tous les partis cherchent les notables par lesquels les scandales arrivent et s’accumulent, et tous les partis disposent de ces types de notables à la main leste et à l’argent facile. Ils n’apprécieront peut-être pas, les partis, mais leurs chefs savent que c’est la réalité. La seule différence entre les différentes formations politiques est que certains se contentent de saupoudrer leurs candidats de quelques notables bancables et d’autres en font une religion. On parle de distribution d’argent, d’achat d’investitures, de tractations mystérieuses, de mises en places de structures associatives orientées et généreuses…

Tout cela est de notoriété publique, mais rien de véritablement sérieux n’est entrepris contre les acheteurs de voix et aussi contre ceux qui les investissent et les couvrent. L’électorat le sait et, résultat, l’écrasante partie des électeurs, qui ne monnayent pas leurs suffrages, se retirent de l’ensemble de l’opération.

2/ L’effectif électoral. Inscription facultative, obligatoire, suggérée, assistée… Faut-il que le corps électoral corresponde aux électeurs en âge de voter et bénéficiant de leurs droits (environ 27 millions d’âmes) ou, à l’inverse, ce corps ne doit-il être constitué que par celles et ceux qui entreprennent l’acte d’inscription ? Le débat fait rage, mais sans convaincre personne. Car l’objectif est de « ménager » le taux de participation. Si, en effet, l’inscription est automatique pour les plus de 18 ans, et sachant que les électeurs ne dépasseraient que difficilement la barre des 10 millions, ce taux serait de 37%, ce qui fait désordre dans une démocratie participative imparfaite qui veut se montrer plus belle qu’elle ne l’est en réalité.

Pour cette fois, pour une fois, il serait utile de laisser faire l’arithmétique, et de déclarer électeurs tous les plus de 18 ans. Le taux de participation dégringolera certes, mais le parlement à venir saura que s’il est légal, il n’en est pas pour autant légitime. Cela ferait réfléchir les décideurs, qui ne vivront donc plus dans un déni de réalité, la réalité étant l’indifférence et le manque de confiance du public dans sa classe politique.

3/ La qualité des candidats. Les partis contournent soigneusement le sujet car l’équation est difficile de concilier entre la compétence et l’opulence, entre les candidats sérieux et les autres, véreux. Or, les élections sont différentes dans leur nature et leur finalité. Pour les communales, l’effectif des candidats est de plusieurs dizaines de milliers pour couvrir le territoire, ce qui n’est pas le cas pour les législatives, où l’effectif est réduit à quelques centaines seulement.

Au vu des rudes défis à venir, des fortes contraintes qui fleurissent partout et des robustes attentes des Marocains, un candidat tête de liste au parlement doit être intègre et lettré, et cela devrait être prouvé et vérifié. Une fois élus, des séances de formation ou de perfectionnement devraient être organisées au sein même de l’institution. Politique monétaire et diplomatie, finances publiques et territoires, système de valeurs et politique pénale… autant de domaines nouveaux pour bien des députés. Un diplôme universitaire est donc nécessaire pour assurer l’engagement efficient des élus et l’intégrité est plus que souhaitable pour se consacrer à sa fonction de façon désintéressée et efiicace.

4/ La neutralité de l’administration. Les partis, tous les partis, la réclament, l’Intérieur la proclame, mais les anciennes habitudes font de la résistance et ont la peau dure. Oh, on ne farfouille plus dans les urnes (quoique, ici et là…) mais on tripatouille les esprits, d’une façon ou d’une autre, en amont dans les états-majors de partis et en aval directement chez l’électeur.

Demander la neutralité de l’Intérieur est une revendication éternelle des partis au Maroc avant une élection. Mais même lors des périodes où l’Intérieur était « le parti clandestin », rares étaient les chefs de partis qui dénonçaient le ministère et épinglaient ses agents intrusifs. Sera-ce le cas cette année ? Qui vivra verra et seul l’avenir crachera le morceau.

Et là, quand on dit que c’est le makhzen qui a affaibli les partis, on relève la limite de l’affirmation. Non, les partis s’affaiblissent eux-mêmes en acceptant la domination de l’Intérieur, faisant penser par leur attitude à la « servitude volontaire » de La Boétie. Un parti est fort par ses dirigeants, et la force de ces dirigeants vient de leur capacité à dire non pour certaines choses et à dire tout haut ce qu’eux et leurs amis pensent tout bas.

 

 

Au-delà des programmes politiques et économiques des partis, c’est sur la crédibilité de l’opération électorale et la confiance des électeurs que se jouera ce scrutin. Le roi a été très clair, il veut des élections saines, transparentes, crédibles et surtout convaincantes. Car ces élections, au moment même où la question du Sahara marocain fonce vers son règlement sur la base d’une autonomie, seront scrutées depuis l’étranger, depuis l’ONU qui abrite les discussions autour de ce dossier, depuis Washington, Paris, Londres, Madrid, Bruxelles, qui soutiennent peu ou prou le plan marocain. Et nous n’avons pas, dans ces capitales, que des amis…

Et si les élections régionales et communales ne sont pas avancées à 2026 (ce qui nécessiterait un amendement à la loi électorale), il appartiendra donc au nouveau parlement d’élaborer le code des élections locales et régionales de 2027. De ces élections émergeront des présidents de communes, des présidents de régions, qui devront gérer la période 2026-2030, ô combien cruciale. A tous les niveaux.

« Le Maroc d'hier n’est pas le Maroc d'aujourd'hui », aime à dire avec emphase Nasser Bourita. Fort bien, mais cela signifie aussi que les Marocains d’hier ne sont pas non plus ceux d’aujourd’hui. Ceux d’aujourd’hui, de demain, accepteront-ils encore des élections menées par des partis faiblards et de faire-valoir ? Le Maroc d’aujourd’hui, donc, a besoin des Marocains d’aujourd’hui, pour bâtir l’économie et la société de demain. Nos politiques, partis et ministère de l’Intérieur, sauront-ils prendre la mesure de la spécificité de cette élection ou, au contraire, contribueront-ils à la persistance de la méfiance et de l’inévitable médiocrité qui en résulte ? Réponses les prochaines semaines.

Aziz Boucetta



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