(Billet 1220) – Le Maroc, deux vitesses, deux dimensions

(Billet 1220) – Le Maroc, deux vitesses, deux dimensions

Cela couvait depuis longtemps… Il a fallu que le roi Mohammed VI assène son constat de « Maroc à deux vitesses » pour que tous les politiques s’éveillent et l’admettent aussi, avant de se ré-assoupir. Mais le souverain, quand il dit quelque chose et relève une anomalie, prend les dispositions nécessaires pour y remédier, et cette fois, c’est le ministère de l’Intérieur qui monte à la manœuvre,  reléguant les partis et les autres ministères à une sorte de figuration. Et les GenZ surgissent, puis rugissent, et ce faisant, montrent une autre réalité, qui est celle du « Maroc à deux dimensions ».

Au Maroc, la population et les dirigeants avancent comme s’ils se trouvaient dans deux dimensions, distinctes, détachées, parallèles. La population vit, voit et souvent vitupère, et le gouvernement agit, parfois réagit et toujours se félicite. Peut-on dire que le gouvernement ne fait rien ? Non, certainement non, ce gouvernement a réalisé bien des projets économiques et sociaux ; mais la politique, c’est le savoir-faire et le faire savoir. Quand le roi parle de communication et de culture du résultat, ce n’est pas fortuit car en déroulant béatement des chiffres en millions et en milliards sans apporter de précisions ou de souffrir une quelconque autocritique, le gouvernement et son chef énervent. Ils énervent une population qui voit tout cela certes mais qui constate aussi que les jeunes chôment de plus en plus, que les riches s’enrichissent encore plus et que la corruption est de plus en plus décomplexée.

Il faut parler, expliquer, débattre, affronter les critiques, accepter les avis contraires, changer de direction le cas échéant. Cela n’a pas été fait par ce gouvernement et c’est le problème ; les jeunes, excédés et las d’attendre, se mobilisent, s’organisent et donnent un grand coup de pied dans la fourmilière politique. Sidération des politiques qui, disons-le, attendent les ordres, puis ils commencent à s’exprimer sur les télés et les réseaux sociaux.

Mais il y a malaise. La communication de ces gens-là est poussive pour la simple, bonne et unique raison d’un déficit navrant et flagrant de dirigeants politiques qui sachent parler, qui contrôlent leurs nerfs, qui maîtrisent les dossiers, qui affichent une dose d’audace… bref, un déficit en responsables dotés de l’intelligence politique du parler vrai ! Las, les états-majors des partis politiques de gouvernement ou de l’opposition sont, au choix et selon leur position, dans le déni, le populisme ou la harangue. Manque de formation des dirigeants de partis, manque de coaching des chefs politiques, manque de confiance des jeunes en leurs responsables et manque de plateformes de communication. Résultat : quand ils passent sur les plateaux télés, les politiques sont rarement convaincants, soit par pusillanimité de ces responsables soit par inadéquation des émissions télés avec les attentes, soit, surtout, en raison de cette tenace langue de bois dont les politiques ne savent se départir. Ils sont dans leur dimension, la première.

En face, les jeunes, installés dans leur propre dimension, la seconde… Ecœurés de tant d’inaction et d’insignifiance de leurs responsables politiques, les GenZ se sont rappelé au bon souvenir de « Rabat ». Ils ont organisé leur propre plateforme de discussion – très pertinemment nommée Discord – et le profil des invités à ces débats montrent l’appétit des jeunes pour le parler-vrai. Alors ils invitent ingénument des gens qui adoptent souvent des postures faciles simplistes, voire nihilistes, multipliant les « y a qu'à-faut qu'on », occultant crédibilité et faisabilité, et même sincérité, et enchaînant les éléments de fragilité émotionnelle (normalisation, infrastructures sportives, TGV, …), sachant que quand l’émotion monte, la raison baisse, recule, disparaît.

Au final, nous avons deux camps se faisant face, ne parlant pas plus le même langage qu’ils ne se comprennent ; les jeunes légitimement en colère, mais qui ne comprennent pas encore les ressorts du fonctionnement de la politique et de la logique constitutionnelle, et les politiques désormais décalés face aux réalités politiques et surtout sociologiques. Et puisque entre les deux se trouvent des médias publics aujourd’hui de plus en plus inadaptés aux attentes des citoyens, jeunes et moins jeunes, nous voyons l’émergence d’une nouvelle catégorie de leaders d’opinion aux objectifs réels pas très identifiables (quoique…), qui naviguent savamment entre la colère des uns et la sidération des autres, remplissant un vide en sapant ce qui a été fait et en jetant le doute sur ce qui est en train de l’être.

Ainsi, pendant que ces médias ont longtemps occulté les véritables débats sans langue de bois et qu’aujourd’hui encore, les politiques restent pusillanimes et distillent leur parole au compte-goutte, les jeunes assoiffés de débats sont allés sur Discord pour s’organiser et discuter, puis sur les autres plateformes pour répandre leurs messages. Ils connaissent les règles constitutionnelles, mais ils ignorent le risque de l’ingérence et de la manipulation. Il n’est qu’à voir le durcissement progressif de leurs discussions, suite aux débats qu’ils organisent, pour s’en convaincre.

La jeunesse est active et de plus en plus offensive, la société est émotive et la scène politique reste craintive. Il est important que les uns et les autres regardent les réalités et l’actualité marocaine avec  le recul nécessaire. Les jeunes doivent poursuivre leur mouvement de protestation mais en prenant garde à ceux qui les « chauffent » pour d’autres raisons que celles affichées ; les partis politiques, à la tête desquels le RNI, doivent apprendre à lire correctement les faits, à faire montre d’humilité, et à se rapprocher des populations ; les médias publics doivent se réorganiser et contribuer à apporter les vraies réponses aux vraies questions car la sphère médiatique a horreur du vide.

L’objectif doit être de ramener les uns et les autres dans la même dimension, où ils parleraient le même langage et poursuivraient le même but, en l’occurrence le développement équitable du pays, et seulement cela !

Aziz Boucetta



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